[Colloque] Protestantisme et pensée juridique / 15-16 décembre 2025 / Université Paris Cité
- SFPJ
- Nov 4
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Le programme détaillé apparaitra ici bientôt.
Protestantisme et pensée juridique
15-16 décembre 2025
Université Paris Cité
Salle Pierre Michalon – Faculté de droit, d'économie et de gestion
10 avenue Pierre Larousse, 92240 Malakoff
Le colloque s'attache à déterminer ce que l’imprégnation culturelle, morale et philosophique du protestantisme fait à la pensée juridique.
Cette rencontre bénéficie de la synergie déjà existante entre les universités de Paris Cité et de Paris Panthéon-Sorbonne au travers du M2 co-habilité d’histoire de la pensée juridique.
Elle bénéficie également du soutien de l’université du Mans et de la Société française pour la philosophie et la théorie juridiques et politiques.
Organisation : Pierre Bonin, Gilles Dumont, Céline Borello, Pierre-Yves Quiviger
Il est entendu depuis Weber qu’existe une « éthique protestante » qui a eu une influence sur « l’esprit du capitalisme », dans sa forme moderne, particulièrement industrielle : la finalité, pourtant purement religieuse, qui valorise le travail a des conséquences directement économiques. Si Éthique et Esprit servent à recouvrir les mécanismes sociaux, culturels et intellectuels par lesquels cette causalité s’exerce, on y trouve une matrice susceptible d’être transposée pour d’autres objets. C’est à la pensée juridique qu’il s’agit en particulier de l’appliquer. Ainsi les effets du protestantisme, saisi comme une conception de vie, sur le contenu de la pensée juridique se déploient sur plusieurs plans dont une des ambitions du colloque est de déterminer en quoi ils communiquent, temporalités emboîtées mais distinctes pour lesquelles la démarche historique est déterminante afin d’éviter l’essentialisation.
En effet, si Luther chasse Dieu du monde en rejetant la médiation de l’Église, l’avènement qui en résulte pour l’individu dont seule la Foi compte produit des effets variables selon l’échelle de temps que l’on adopte. Paradoxalement, dès lors que le prince se détermine seul en matière religieuse, il impose donc sa foi à ses sujets et le protestantisme ainsi renforce pour deux siècles l’absolutisme, en réunissant Église et État et en étendant les compétences religieuses du pouvoir civil, ainsi que ses moyens de contrôle, par exemple par substitution des anciennes institutions charitables. Et si sur un terme plus long, c’est également la volonté qui prime sur la connaissance de l’ordre objectif du monde dans la détermination du droit, au profit de la loi décidée par celui qui est habilité, le refus de l’hétéronomie dans l’individu, à la fois subjectif et prédestiné, aboutit à une abolition des cadres intermédiaires le laissant seul face au Léviathan.
Cependant, à la charnière du politique et du juridique, l’incarnation immédiate du Royaume, qui n’est plus un horizon d’attente, dès la théocratie genevoise de Calvin, et donc l’accomplissement du fidèle sur terre, respiritualise la vie sociale sans la médiation du sacré. Le subjectivisme juridique a évidemment des racines plus anciennes (et la question des continuités, des ruptures et des transformations est centrale, par exemple avec l’Ockhamisme, qui donne le primat à l’individu en refusant la naturalité aux catégories). Amplifié, il conduit au droit naturel moderne et à l’hégémonie du contractualisme social, au départ sans doute pour fonder les résistances face aux persécutions. Nonobstant, l’importance de la dimension religieuse dans cette diffusion demeure à préciser, en particulier par exemple l’autodétermination rationnelle, à côté d’autres influences comme le cartésianisme, mais aussi par la thématique réinvestie du contrat ou de l’alliance (celle avec Dieu constituant le modèle matriciel), en particulier face aux institutions. C’est malgré tout ce qui permet par exemple de fonder le droit international et ses prolongements en termes de paix perpétuelle et de ligue des nations. Il en résulte paradoxalement que l’utilitarisme qui légitime l’égoïsme individuel en vient, à partir du XVIIIe siècle, dans le prolongement de l’opposition puritaine et non-conformiste, à faire de l’État une contrainte et une menace, au profit parfois de conceptions plus fédératives. Et l’exaltation de la liberté de conscience s’étend à la reconnaissance d’un ensemble de droits au sujet, que formalisent les droits de l’homme dans la perspective contractualiste. La liberté y est associée à la propriété envisagée comme l’un de ses moyens, les biens de ce monde ne souffrant plus du discrédit catholique, en même temps que le contrepoint politique d’une société civile est intellectuellement possible et même nécessaire, avec une culture du débat.
La réconciliation de la liberté et de la religion qu’opère le protestantisme, pour reprendre Tocqueville, peut donc produire des effets différents, voire opposés, sur l’appréhension du droit suivant les contextes, chronologiques mais aussi géographiques. Une approche par juxtaposition de cas sera appréciable. En effet la situation n’est évidemment pas la même dans les pays où les protestants sont minoritaires, en Angleterre ou en Ecosse avec une administration faible mais un régime de Common law qui s’appuie de plus en plus sur la raison cumulative des précédents, ou dans le monde germanique, comme Harold J. Berman l’a mis en évidence, particulièrement complexe mais significatif, puisque le droit n’y connaît pas une unité adossée à un pouvoir politique, mais que l’influence juridique protestante s’y fait sentir même dans les principautés catholiques.
La focale peut également varier au-delà de la seule influence de la religion réformée dans l’appréhension du droit. Il ne s’agit évidemment pas d’étudier, au risque de l’hypostasier, le droit que génèrent les protestants, quand ils sont en position de le dire, ni a fortiori à quel droit on les soumet. Mais plus substantiellement, la question doit être posée d’une éventuelle doctrine protestante du droit, à partir de ce que les grands textes protestants disent du droit (on préfère éviter ici des syntagmes qui tiennent de l’oxymore comme orthodoxie protestante ou dogme protestant). La question des juristes de religion protestante devra également être posée : s’il existe des penseurs (er de acteurs, qui peuvent être les mêmes) du droit qui sont protestants, l’une des questions importantes du colloque sera de déterminer s’il existe une pensée juridique protestante, ou si la pensée juridique des protestants a moins produite par l’unité d’une sensibilité religieuse que située, marquée par des circonstances et des situations de fait (par exemple l’établissement de la IIIe république, la mise en accord du droit de la famille avec la libération des mœurs, la construction européenne…). Au total, c’est bien l’esprit du droit en « ambiance protestante » que le colloque se donne pour ambition de saisir.
La déclinaison peut aussi s’envisager sur des thématiques plus précises, ou par branche du droit, dont certaines peuvent être suggérées sans prétention à l’exhaustivité ou à la démonstration. Ainsi, les formes et les pratiques d’organisation des églises (presbytérianisme synodal, congrégationalisme venu de l’anabaptisme…), fondées sur le sacerdoce universel, ne sont pas sans effets sur le droit public, refondu et sécularisé. Et la représentation politique qui se développe est surtout vue comme un moyen de contrôle. La rationalité du sujet suppose l’universalité de la règle, mais le rejet piétiste du dogmatisme ouvre la voie à une plus grande prise en compte y compris juridique des sentiments c’est-à-dire, en termes très contemporains, des sensibilités. Placer le pardon hors de la juridiction humaine diminue la dimension transactionnelle de la sanction, alors que la doctrine de l’expiation n’est pas sans effet sur la réflexion pénale. Sans médiation ecclésiale, la loi naturelle se fait moins théologique et plus rationaliste. Et si la liberté du sujet rationnel est centrale, son obéissance aux lois est moralisée, à la mesure de sa responsabilité accrue : cette adhésion de la conscience aux règles aboutit à une éthique civique du droit, et à des formes spécifiques de patriotisme, non sans dimension messianique.
Au total, il s’agit bien de déterminer ce que l’imprégnation culturelle, morale et philosophique du protestantisme fait à la pensée juridique. Cette rencontre, réunie les 6 et 7 octobre 2025, bénéficie de la synergie déjà existante entre les universités de Paris Cité et de Paris 1 Panthéon-Sorbonne au travers du M2 co-habilité d’histoire de la pensée juridique. Elle bénéficie également du soutien de l’université du Mans. Résolument interdisciplinaire, associant en particulier juristes, historiens et philosophes, elle s’inscrit également dans le prolongement d’autres colloques visant, en sondant des influences ou des concepts, à insérer la pensée juridique dans les grandes pulsations de la réflexion au moins occidentale (à ce jour ont ainsi été réunies, ou sont en préparation, des rencontres envisageant dans la pensée juridique le Cartésianisme, l’Aristotélisme, la Métaphore organiciste, l’Archéologie, l’idée de Société et l’Augustinisme). Ces colloques ont vocation à voir leurs actes publiés dans une série dédiée de la collection « Histoire du droit », aux Classiques Garnier. Cette mise en cohérence va permettre également de démultiplier leur portée.
Programme
Lundi 15 décembre
14h00
Présidence de séance : Pierre-Yves Quiviger, directeur de l’UFR de philosophie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Les Termes de l’Alliance selon Jean Calvin : proposition de lecture institutionnelle du Décalogue (Ex., 20) Guerric Meylan, maître de conférences en histoire du droit, université Paris-Saclay
L'influence du calvinisme sur la pensée juridique européenne et la jurisprudence : le cas de la Hongrie Attila Pokecz Kovacs, professeur d’histoire du droit, université nationale du service public et université réformée Károli Gáspár de Budapest
Le devoir du contribuable et la légitimité de la loi fiscale à partir de Luther et Calvin Fabrice Bin, professeur de droit public, université Toulouse Capitole,
La condamnation de l'Eucharistie par les juristes protestants français de la seconde moitié du XVIe siècle : arguments juridiques Arnaud Le Gonidec, docteur en histoire du droit, université Toulouse Capitole
16h00
Présidence de séance : Hubert Bost, directeur d'études, École pratique des hautes études
Europe, Les « héros de la foi » au XVIe siècle : le droit, à l’origine de la martyrologie protestante David el Kenz, maître de conférences en histoire moderne, université Bourgogne
Un combat humaniste contre l'absolutisme : la Prinicipum monitrix musa d'Henri Estienne (1590) Romain Dubos, docteur en histoire du droit, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Protestantisme et contractualisme : de l'alliance théologico-juridique des monarchomaques au contrat social de Thomas Hobbes Adrien Boniteau, docteur en théologie protestante, université de Strasbourg
Reforming Marriage, Reforming Law: Parental Consent and the Juridical Culture of Lutheranism Paolo Astorri, professeur associé d’histoire du droit, université de Copenhague
Mardi 16 décembre
09h30
Présidence de séance : Anne Rousselet-Pimont, doyen de l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La conception de la loi et du contrat dans la littérature protestante sur la tolérance civile en France au XVIIIe siècle Clara Cwikowski, docteur en histoire du droit, Aix‑Marseille université
Kant et le renversement des catégories du droit romain Alexis Verhassel, doctorant en histoire du droit, université de Montpellier
Enseigner le droit canonique en terre protestante : le Kirchenrecht dans les facultés de droit allemandes (XVIIe-XXe siècle) Florian Reverchon, professeur d’histoire du droit, université de Toulouse
La part protestante de l’esprit du droit républicain : Jules Simon et la doctrine de la liberté dans l’ordre Julien Broch, maître de conférences en histoire du droit, Aix-Marseille université
L’influence du droit protestant sur la nature juridique de l’Église dans le processus de séparation des Églises et de l’État Franck Zarlenga, enseignant chercheur contractuel en histoire du droit, université de Limoges
Ellul protestant et juriste Jean-Pierre Jézéquel, directeur de recherche émérite, Institut national de l’audiovisuel
14h30
Présidence de séance : Bruno Daugeron, directeur de Centre Maurice Hauriou, université Paris Cité
Les références au droit dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max Weber Isabelle Kalinowski, directrice de recherche, UMR Pays Germaniques (UMR 8547, CNRS/ENS)
Le paradoxe de l'individualisme politique protestant selon le juge Jerome FrankQuentin Roueche, doctorant en philosophie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le régime de l’édit de Nantes peut-il être un régime juridique ? Institutions réformées et pensée juridique dans la France du premier XVIIe siècle Adrien Aracil, docteur en histoire moderne, Sorbonne université
Droit et radicalité de la conscience : les quakers et le serment au XVIIe siècle Cyril Selzner, maître de conférences en langue et littératures anglaises et anglosaxonnes, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Existe-t-il une science administrative protestante ? Gilles Dumont, professeur de droit public, université Paris Cité
Protestantisme et doctrine civiliste du XIXe siècle à Jean Carbonnier Sylvain Bloquet, maître de conférences en histoire du droit, université Paris Cité
Conclusions Céline Borello, professeur d’histoire moderne, université du Mans
Colloque interdisciplinaire et international organisé en collaboration entre le Centre Maurice Hauriou (université Paris Cité), le Laboratoire TEmps, MOnde, Sociétés (UMR 9016, CNRS/Université de Bretagne Sud/Université d’Angers/ Le Mans université), l’Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne (UMR 8103, CNRS/université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), la Société française pour la philosophie et la théorie juridiques et politiques, et la Société pour l’histoire des Facultés de droit et de la culture juridique, avec le soutien de la Faculté Société et Humanités de l’université Paris Cité.
Inscription nécessaire : https://sondage.app.u-paris.fr/639546
Colloque organisé par Céline Borello, Pierre Bonin, Gilles Dumont et Pierre-Yves Quiviger.


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